cohérence

Nous avons cette chance de nous dire, de parler. Chance que n’ont ni les fleurs ni les animaux. Pourtant ils se manifestent avec cohérence. Nous les admirons.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 108.

David Farreny, 20 mars 2002
maisons

Plus que de la laideur, à mon avis, le XXe siècle fut le siècle de la camelote. Et rien n’en témoigne mieux que tous ces pavillons qui éclosent le long de toutes les routes et à l’entrée de toutes les villes, petites ou grandes. Ce ne sont pas des maisons, ce sont des idées de maisons. Elles témoignent pour une civilisation qui ne croit plus à elle-même et qui sait qu’elle va mourir, puisqu’elles sont bâties pour ne pas durer, pour dépérir, au mieux pour être remplacées, comme les hommes et les femmes qui les habitent. Elles n’ont rien de ce que Bachelard pouvait célébrer dans sa poétique de la maison. Elles n’ont pas plus de fondement que de fondation. Rien dans la matière qui les constitue n’est tiré de la terre qui les porte, elles ne sont extraites de rien, elles sont comme posées là, tombées d’un ciel vide, sans accord avec le paysage, sans résonance avec ses tonalités, sans vibration sympathique dans l’air.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 470.

David Farreny, 19 mai 2002
inconnus

La simple présence proche suffit amplement.

Étant gravement atteint de crise d’étouffement, j’en louai moi-même une sur les indications de mon conseiller. Son épaule et la naissance de sa poitrine exquise, voilà la zone touchée qui me fit le plus grand bien, et le plus prompt.

Cette fille simple et d’un charme qui allait loin ne fit durant le traitement que lacer et délacer une jambière, mais très modestement.

Elle me regardait de temps à autre, puis sa jambe, ne disant rien, et ses sentiments me demeurèrent inconnus.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 95.

David Farreny, 4 mars 2008
moral

Il faut profiter, pour respirer une dernière fois, du jeu entre les nations, de la maladresse des administrations, pour lesquelles des frontières existent encore. Bientôt, ce sera le règne des ordinateurs interchangeables, un immense réseau moral d’interpolices.

Paul Morand, « 24 janvier 1969 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 137.

David Farreny, 25 mai 2009
cuir

L’Armide de Lully au Théâtre des Champs-Élysées. Je n’ai pas compris si l’on conspuait la mise en scène parce qu’elle était mauvaise ou parce qu’elle était moderne, au moins graphiquement. Lorsque je les aimais déjà, à peine adolescent, ces œuvres étaient totalement assoupies, depuis au moins deux siècles. Toute œuvre redécouverte ajoute comme un temps reconquis à notre âge réel et donne ce cuir de sagesse et d’intrépidité qu’ont, jusque sur la peau, les archéologues.

Gérard Pesson, « mardi 8 décembre 1992 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 86.

David Farreny, 22 mars 2010
dilatoires

Donc, n’importe où. N’importe où, c’eût été parfait. Dino Egger pouvait naître n’importe où – je me retiens de dresser la liste des lieux qui entrent dans cette catégorie – Aalter, Aarau, Aarschot, Aartselaar, Aba, Abadan, Abakan, Abbeville… –, on me soupçonnerait d’élaborer des stratégies dilatoires pour ne pas reprendre sérieusement mon enquête. Dino Egger pouvait naître n’importe où – Abdère, Abeokuta, Aberdeen, Abidjan, Abitibi, Abkhasie, Ablon-sur-Seine… –, nous n’aurions pas tardé à en être informés partout, aussi bien à Zwickau qu’à Zwijndrecht ou Zwolle.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 102.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
façon

Elle vit un échalas crasseux à la longue tignasse grise, vêtu d’un simple sac postal ficelé à la ceinture et chaussé de sandales sonores. Elle était seule dans la rue avec lui. Quand elle jetait un œil dans son dos, l’homme détournait le regard, ralentissait et inclinait la tête d’une façon coupable. Ensuite elle reprenait sa marche, et lui de même, faisant claquer ses mauvaises sandales comme s’il venait de les voler à quelqu’un le surpassant de trois pointures. […] Le cochon de lait roula au sol dans son torchon et elle se jeta dessus à plat ventre. L’homme la prit par les cheveux et la redressa.

— Donne-moi ton c’chon. Ton c’chon !

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 38.

Cécile Carret, 9 mars 2012
lithographies

Ô jardins, même pas suspendus ! Quelque part

le voyageur s’égare dans une forêt d’hommes ;

il écoute dans le ventre des employés des postes

la chanson écrémée et simple des laitières.

Mais y a-t-il encore des voyageurs, des pas

dans le sable, des touristes dévorés par des squales,

des îles ovipares où pousse l’ancolie,

des bateaux échoués sur des lithographies ?

À travers le charbon, l’essence et le pétrole

voici que le visage de l’homme s’est noirci.

Voici qu’il penche sur ses outils de travail :

le rein, le foie et le poumon.

Benjamin Fondane, « Titanic », Le mal des fantômes, Verdier, p. 108.

David Farreny, 21 juin 2013
vallée

Si je n’ai pas gardé la couverture, j’écris près de la petite table dont j’aime l’élégante robustesse et la couleur acajou : elle supporte un crucifix sur pied que je ne regarde guère sans penser à cette femme dont le visage, la voix, la vie sont retournés au néant, et qu’aucun récit ne sauvera, sinon ce prénom fané qui dit un monde disparu et, peut-être, ce que le temps fait de nous alors même que nous ne sommes pas nés, nous appelant à lui sous le masque de l’amour et de la nécessité pour nous abandonner bientôt dans une vallée dont nous ne sortirons plus.

Richard Millet, Petit éloge d’un solitaire, Gallimard, p. 24.

David Farreny, 25 août 2013
seuil

Au seuil d’une belle journée et ainsi jusqu’au soir sans même la voir décliner, demeurant sur son seuil infranchissable. Constatation familière.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 179.

David Farreny, 30 juin 2014

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